U2, naissance d'une entreprise

, par Pascal 7 commentaires

« U2 a toujours compris que ce serait pathétique d’être bon en musique et mauvais dans le business. Ils ont toujours été disposés à investir dans leur propre avenir. »

« Nous n’avons jamais été intéressés pour nous joindre à cette longue et humiliante liste des artistes qui ont signé de misérables contrats, ont été exploités et ont fini par disparaître, sans aucun contrôle sur la façon dont leur travail est utilisé, et sans avoir aucun mot à dire sur la façon dont leurs noms ou oeuvres sont achetés et vendues. U2 et moi avons compris instinctivement depuis le début, qu’ils menaient deux une carrière en parallèle d’abord dans l’enregistrement de chansons en tant qu’artistes, et comme artistes de scène. Ils ont eu un succès phénoménal dans les deux domaines à la fois. Le Vertigo Tour en 2005/2006 a rapporté 355 millions de dollars et a a été joué devant 4.6 millions de personnes dans 26 pays. »

Cet extrait du discours de Paul McGuiness au dernier Midem est ô combien révélateur de la stratégie à long terme de U2 et de son mentor.

A côté d’une démarche artistique que l’on peut qualifier de « réussie », le groupe de 5 membres (4+1) n’est pas resté longtemps dans l’approximation et l’improvisation, et s’il a gagné sa place au firmament des légendes du rock, il le doit plus à son « business plan » de plus en plus implacable, époque après époque, qu’aux éventuelles frasques de ses membres (et ce ne sont pas les anecdotiques pétards au carrefour des 80’s et 90’s qui pèseront lourd au final).

Cinq membres oui car la pierre angulaire de tout cela est tout d’abord d’avoir compris que la force de U2 fut de trouver puis de s’associer intuitivement avec le « Colonel Parker » du 21ème siècle. Ce Paul McGuiness, resté finalement à bien des égards énigmatique depuis ses décennies, indispensable à l’existence et à la prospérité du groupe Irlandais, est bien le membre à égalité de parts des 4 autres et ces 20% font toute la différence… « Paul était sûr de lui. Il inspirait confiance ; comme aujourd’hui du reste. L’une des ses qualités est d’arriver à rendre les choses envisageables, du simple fait d’en parler« , ainsi parle Bono sur le début de leur association.

En effet, toute la machinerie « Principle Management » n’est pas le fait du hasard et fut construite patiemment par ce McGuinness qui pourtant au début de son management de U2 était aussi inexpérimenté dans ce métier que ne l’était le groupe dans la musique.

U2 n’a jamais douté de son étoile, cette naïve voire vaniteuse attitude lui a souvent été reprochée avec bon nombre d’inimitiés à la clef, et c’est Paul McGuiness qui fut réellement le premier à y croire, subjugué par la présence d’un Bono ou la détermination d’un The Edge, « astucieux, ambitieux, vifs d’esprit, ce groupe pourrait être bien le groupe que je cherchais. »

Bien évidemment, tout cela à demandé du temps et de la sueur, pas seulement en studio ou sur scène. Des logiques économiques ont évolué voire ont été complètement inversées. L’intelligence de U2 et de son manager est de l’avoir compris, appris, anticipé, pour se positionner dans un rôle de précurseur dans bien des domaines.

En 2009, l’objectif principal de son manager pourrait se résumer en cette phrase : « Nos intérêts sont, après tout, de faire fusionner progressivement les distributeurs de contenu, les fabricants de matériel et les créateurs de contenu. »

Nous sommes loin du souci de l’artiste pourrions nous dire. Effectivement pour en arriver là il a fallu construire la légende, lui éviter un maximum d’écueil, s’appuyer sur des wagons de n°1 et de Grammys et bâtir des tournées à succès progressivement bénéficiaires. En synthèse, apprendre, apprendre encore, tout en essayant de conserver le plus longtemps possible une intégrité artistique qui ferait la différence avec la concurrence.

Le parcours commercial de U2 peut se diviser en trois parties majeures, avec tout d’abord les années « d’apprentissage » entre 1980 et 1985, « l’envol » puis la « posture » entre 1987 et 1997 pour enfin de nos jours et depuis 2000 connaître ce que nous pourrions appeler les années « filon »…

1ère partie : L’apprentissage / U2 par Paul McGuiness

«  – Bon maintenant, vous travaillez quelques chansons, vous les testez sur scène et ensuite vous les enregistrez, vous allez voir une maison de disques, ensuite vous faites votre premier album, et vous commencer à tourner…
– Et ensuite tu pourras nous acheter un minibus ?
– Tout est entre vos mains. Il suffit que vous vous améliorez tout est là.
 »

Beaucoup pourrait être résumé sur cet épisode où si U2 voulait faire son « rock n roll circus », leur manager les aidait plus sérieusement à voir plus loin, bosser dur…

En 2009, ses vœux ont été semble-t-il exaucé puisque toujours selon lui « Bien sûr, nous avons fait des erreurs en cours de route, mais notre vision n’a pas changé en 31 ans. Ils sont plus ambitieux et travailleurs que jamais, et chaque fois qu’ils font une tournée ou un disque, c’est mieux que la dernière fois. Ils font leur meilleure oeuvre aujourd’hui. Pendant ce temps, le monde de la musique a connu de nombreux changements. »

Les temps, par dessus tout, ont évolué depuis les années 70/80. « Les dynamiques de tournées ont complètement changé. Désormais, il y a un montant astronomique d’argent impliqué« , déclare John Silcock, PDG de Robertson Taylor, une unité spécialisée dans le placement de couverture pour les manifestations musicales.

« A l’époque, les groupes perdaient plutôt de l’argent en tournée. C’était une opportunité pour eux de se déchaîner« , explique-t-il. « Mais avec le déclin des ventes de CD, les performers se reposent aujourd’hui sur les revenus croissants des tournées, une tendance connue sous le nom de business de concert. »

Alors, Paul McGuiness visionnaire ou redoutable requin de la finance ?

Un peu des deux pour en arriver à ce professionnalisme consommé. Car si les premières années furent une période bénie, où les derniers soubresauts de l’industrie du disque avant le grand « big bang » du net permirent à U2 de monter doucement mais sûrement en puissance (malgré leurs imperfections, compensés par une foi inébranlable, ce qui ne serait sûrement plus possible dans le monde musical d’aujourd’hui), ils ont néanmoins subi les incertitudes communes à tout début de carrière.

Tout d’abord se dégoter un contrat avec une maison de disque, dur labeur, récompensé un certain soir de 1980 à Londres, à un concert au Lyceum. Le groupe voit arriver leur manager avec Nick Stewart d’Island Records, direction les toilettes des filles pour le signer illico, « On avait besoin d’un endroit bien éclairé« , « signer un contrat dans les toilettes des femmes, c’est plutôt rock’n’roll non ? » « Ce n’était pas le contrat le plus juteux de l’histoire de la musique mais ça nous semblait satisfaisant. Le label s’engageait sur plusieurs singles et un album et nous donnait un peu d’argent  » selon Adam. « Bienvenue dans le music business » résuma The Edge

L’entreprise U2 pouvait réellement décoller.

Tournée préliminaire aux USA avant la sortie de Boy, objectif percer en tant que groupe de scène. S’associer avec un organisateur reconnu, où de cette tournée initiatrice jusqu’au Zoo TV, la coutume qui voulait que ses organisateurs accompagnent un groupe de ses débuts à ses plus gros succès, fut respectée.

Dans les premières années du groupe, de 1981 à 1983, U2 a tourné à perte trois mois par an en Amérique du Nord. Un investissement dirons-nous, mais surtout quelques mécènes et une maison de disques patiente. Ce démarrage artisanal ponctué de deux premiers albums inégaux, fut prometteur mais pas suffisant, il fallait accélérer et changer de division pour Paul McGuiness.

« Si on avait été sur un autre label, ça aurait été très différent, ils auraient pu décider de nous lâcher. Ça n’a pas été le cas, mais on savait qu’il fallait mettre la barre plus haut si on voulait que le groupe continue d’exister« .

Première anecdote significative, le clip de Gloria, que la chaîne naissante MTV passait en boucle, aidant U2 à devenir le premier groupe phare de MTV. « On connaissait bien les gens qui ont lancé MTV, c’était une affaire beaucoup moins formatée que maintenant. On tournait un clip, on pouvait leur apporter, le montrer à un décideur et s’il l’aimait, le clip passait à la télé trois heures plus tard« . Encore une fois, McGuinness résuma l’affaire et à l’aune des années 2010, ce petit évènement déclencheur laisse rêveur sur ce que l’on attend plutôt dorénavant d’un plan promotionnel programmé… Scientifiquement.

« New Year’s Day est entré dans le top 10 UK en janvier 83, War est sorti en mars et est entré directement à la 1ere place. Et nous on planait. » Le groupe voulait tourner partout, Red Rocks à Denver, dans le colorado allait être leur plus gros concert de l’époque : un amphithéâtre de 7000 places en plein air.

Le début de la légende allait se filmer ici, au beau milieu des brumes et d’une pluie malvenue, mais qui fera toute la différence dans les mémoires et à l’image, en intronisant U2 comme le plus grand groupe « performer » des années 80’s. Adam reviendra sur l’épisode avec sa clairvoyance habituelle, « ça été un concert référence. Comme si désormais, on avait le droit de dire, bon maintenant, on est les prétendants, on est sur la ligne de départ. »

1983 fut une année déterminante pour U2 et la suite n’allait pas démentir cet envol naissant. Désormais le groupe étendard de toute une génération, néanmoins pas encore une formation dominatrice reconnue par la profession. Ces quatre irlandais, devaient désormais se trouver une crédibilité artistique, labelliser leur nom au contact des plus grands pour parvenir à leur niveau de notoriété… Puis les dépasser.

Cette nouvelle étape majeure se fit en deux temps, dont l’une « faussement » involontaire.

Première séquence, la maturité et le souci créatif en studio. Appel donc au renfort d’un grand bidouilleur de sons aux antipodes du U2 héroïque, un certain Brian Eno accompagné de son acolyte Daniel Lanois. Un duo à la production qui désormais ne quittera plus le groupe lorsqu’il s’agira d’accoucher de leurs meilleures compos.

1er enfant commun, The Unforgetable Fire et son hit planétaire Pride. U2 pouvait s’enorgueillir d’avoir pris des risques, le rêve américain sera une des grandes caractéristiques de cet album que viendra parachever plus tard The Joshua Tree.

Deuxième séquence, primordiale et bien connue, leur apparition au Live Aid. « Geldof m’a appelé pour le Band Aid , alors qu’on était sur la route je lui ai répondu : écoute je sais, au début je n’y ai pas cru. Cette fois, dis-moi juste à quelle heure tu veux qu‘on y soit, et on y sera ». « Au final, ça a été un sacré grand jour pour U2« . McGuiness avait flairé la bonne affaire, le virage définitif.

Il ne savait pas encore que Bono viendrait couronner ses espoirs d’une prestation improvisée à la limite du catastrophique pour les standard télés de l’époque. Une version épique de Bad où Bono se perd dans le public, ne revient plus…

Laissons à nouveau McGuiness revenir sur sa vision de l’évènement : « Je n’en menais pas large. Je me suis dit qu’il avait tout fichu en l’air, il s’est lancé dans une version à rallonge de Bad et n’est jamais arrivé au troisième morceau qui devait être Pride. Sur scène le groupe semblait un peu perdu. Eux non plus ne savaient pas où il était passé. Bono a abordé l’évènement tel qu’il fallait, à savoir avant tout comme une émission télévisée. Intuitivement, il avait compris ça. Mais le jour même je n’avais pas réalisé. On a tous cru qu’il avait tout saboté. » Plus rien ne sera pareil pourtant pour U2, car avec cette approche intuitive de son leader, désormais tout le monde connaissait Bono.

Approche parfois idyllique d’un destin désormais hors norme, où comment rebondir avec une découverte et une formation aux arcanes commerciales parfois naïves ou providentielles. Le début des années 80, même si il ne peut être identifié musicalement à U2, lui ont été un creuset expérimental à la fois pour comprendre les « us et coutumes » finissantes du cirque rock, mais lui ont surtout permis de comprendre la transition dans lequel le monde de l’industrie du disque se trouvait. Désormais pour survivre et compter, la candeur et la sincérité des débuts ne suffirait plus.

Discussions

7 commentaires ont été publiés pour cet article.

Marco

J’ai un autre point de vue : U2 un des rares groupes pop/rock meilleur aujourd’hui qu’ à leur début…

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tom

Un super article! Et j’ajoute leur premières années sont les meilleurs malgré les incertitudes .

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ratus

abonné depuis plus de deux mois a u2.com je n’ai toujours pas reçu le cd rare & remastered, est-ce normal a votre avis???

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Sebsystem

Musicalement, j’aime bien cette période « filon » !

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Pascal

Tu as raison pour R&H, mais je persiste dans ma nuance pour deux raisons :

Je dis rève Américain, car les enregistrements studio UF et JT, sont encore dans l imaginaire de ce rève d’or.
alors que sur R&H ils le vivent en prise directe.

Deuxieme raison, et j y reviendrais dans la part II, R&H n’est pas un album studio ;)
Pour McGuiness et cie c’est avant tout son fi-film…

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yeah

yep!

J’attends avec impatience la période « filon »

Par contre, je ne suis pas d’accord avec ça:

« …..le rêve américain sera une des grandes caractéristiques de cet album que viendra parachever plus tard The Joshua Tree. »

Je pense au contraire que la période américaine, qui commence effectivement avec The UF, se termine avec R&H, véritable hommage à la musique américaine (blues, gospel, rock’n’roll)

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Sebsystem

encore une fois un tres bon article !

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