Si U2 déstabilise toujours un peu plus avec son enième plan marketing (plus ou moins bien élaboré, « Breathe » si tu nous lit…). Bono en digne rejeton de Paul McGuiness s’en sort-il aussi bien?Oui et non selon « Challenge » revenant sur l’étude XXL de l’historienne Nancy Koehn pour Harvard Business School.
« Paul Hewson, alias Bono, chanteur de U2 et businessman »
Bono, chrétien pratiquant limite mystique, mélange philanthropie, spectacle et business. Mais la pop star n’a pas d’aussi bons résultats dans les affaires que dans la chanson.
La très sérieuse Harvard Business School a été le théâtre d’un coup de foudre assez improbable : l’historienne Nancy Koehn, habituée à disséquer la vie de grands capitaines d’industrie comme Rockefeller, Carnegie ou Ford, est tombée « raide dingue » de Bono. Parfaitement. Bono, le chanteur de U2. L’an dernier, elle lui a consacré une étude de cas de 60 pages ! Et jamais ses étudiants n’ont été aussi captivés. « Ils sont stupéfaits des talents de marketing de Bono, de sa vision et de l’interconnexion entre ses différentes vies, s’enthousiasme-t-elle. Il figurera au premier plan dans l’histoire du business au début du XXIe siècle. Bono est un entrepreneur qui a changé le monde, au même titre que Bill Gates, Steve Jobs ou Warren Buffett. » Rien que cela ! Nancy Koehn est-elle une groupie au sens critique altéré ou une observatrice au flair exceptionnel ?
Multi-activiste planétaire
Il est vrai que l’objet de son béguin fait preuve d’une énergie et d’une créativité hors du commun. Bono, 50 ans le 10 mai prochain, court la planète à un rythme frénétique. Londres, où il a enregistré une chanson au profit de Haïti. New York, où il répète ce qu’il espère être l’événement de l’automne : un opéra rock à la gloire de Spiderman, dont il signe les paroles et la musique, et qui s’annonce comme le plus cher de l’histoire de Broadway (50 millions de dollars). L’Afrique (Ghana, Kenya, Sénégal… ), où il suit sur le terrain les actions de One, son ONG qui lutte contre l’extrême pauvreté et le sida. San Francisco, où se trouve son fonds d’investissement, Elevation Partners. Il rédige aussi des chroniques pour le New York Times. Celle de janvier dernier a été très remarquée : il plaidait pour une sorte de loi Hadopi mondiale.
Entre mégalomanie et engagement – visiblement sincère – pour « la justice et l’égalité » dans le monde, le musicien irlandais est l’archétype de la star « multitâche », touche-à-tout, qui se sent investie d’une mission quasi divine pour « faire le bien ». Tout en investissant ici et là, sans craindre de se faire traiter d ‘ « archicapitaliste » et d’hypocrite par ses détracteurs.
Alors, Bono, philanthrope, homme d’affaires ? Ou les deux ? Qui se cache derrière le surnom connu de la terre entière et emprunté, adolescent, à Bono Vox, une boutique dublinoise d’appareils auditifs ?
Rebelle institutionnalisé
Affublé de lunettes toujours plus étonnantes, les lobes ornés d’anneaux, Paul David Hewson, de son vrai nom, brouille les pistes. Décoré de la Légion d’honneur par Jacques Chirac en 2003, élu « personnalité de l’année » par le magazine Time en 2005 (avec Bill et Melinda Gates), fait chevalier d’honneur britannique en 2007, trois fois nominé au Nobel de la paix, Bono côtoie les puissants et vit comme eux, entre villas, palaces et jets privés. Le voilà presque élevé au rang d’institution, lui qui se veut toujours rebelle, en lutte contre l’indifférence, et truffe ses discours à Davos ou aux conférences TED de mots familiers, voire grossiers. Cherchez l’erreur. « Bono est tout sauf un hippie. C’est un entrepreneur, qui conjugue spirituel et matériel », tranche son ami français Michka Assayas, avec lequel il a écrit un livre de conversations, Bono par Bono.
Un autre proche, Bill Gates, dont la fondation finance en partie son ONG, voit en Bono l’incarnation du « capitalisme créatif », qui recherche « de nouvelles façons d’intégrer beaucoup plus de personnes dans le système – le capitalisme qui a fait tant de bien dans le monde » (sic). Et de citer RED, l’initiative cofondée en 2006 avec Bobby Shriver, neveu de feu John F. Kennedy et beau-frère d’Arnold Schwarzenegger. Le but de cet autoproclamé « business model » ? Attirer l’attention des consommateurs sur les maladies qui ravagent l’Afrique, en leur faisant acheter des produits (Starbucks, Gap, Nike, Dell, Microsoft ou Apple) labellisés RED. Sur le papier, tout le monde y gagne : une partie des profits (140 millions de dollars à ce jour) est reversée au Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, tandis que les entreprises élargissent leur clientèle.
Dans la même logique, convaincu que le privé peut changer le monde autant que les Etats, Bono a fondé en 2005 avec sa femme, Ali Hewson, la marque de vêtements « éthiques » Edun. La PME de 25 personnes, dont LVMH a acquis 49 % en mai 2009 pour environ 6 millions d’euros, vise à promouvoir l’Afrique comme un lieu « sexy » pour faire du commerce. Pour l’anecdote, Edun est l’anagramme de Nude (nu), le nom d’une ligne de cosmétiques lancée par sa femme et d’une petite chaîne de cafés dublinoise créée par son frère Norman, dans laquelle Bono a investi.
Car Paul Hewson aime investir. Il a cofondé en 2004 le fonds Elevation Partners, levant 1,9 milliard de dollars pour s’inviter au capital du fabricant de smartphones Palm, à ceux de l’agence immobilière en ligne Move ou encore du magazine Forbes – qui vient de le classer quatrième personne la plus influente de Hollywood ! Dernière cible en date, le site Yelp, qui mêle annuaire professionnel local et avis de consommateurs : fin janvier, après avoir refusé une offre de rachat par Google, la start-up annonçait avoir reçu 25 millions de dollars d’Elevation Partners, somme qui serait bientôt portée à 100 millions.
Investisseur organisé
Mais Bono ne s’intéresse pas qu’aux médias et au high-tech. Son argent, il l’a d’abord placé dans la pierre. Parmi ses propriétés, on compte une villa à Eze, près de Nice, un pied-à-terre parisien et un superbe appartement new-yorkais racheté à Steve Jobs. En 1992, avec The Edge, le guitariste de U2, il a aussi jeté son dévolu sur le Clarence Hotel, un cinq-étoiles dans le centre de Dublin. Ami de Damian Hirst, le peintre contemporain le plus coté, il collectionne les oeuvres d’art. En 2008, U2 a vendu pour 6 millions d’euros chez Sotheby’s une toile de Basquiat acquise en 1989.
Car U2, plus qu’un groupe de rock, est une marque. Un empire qui compte une quinzaine de filiales. Une machine à cash que Bono a construite patiemment depuis 1976 avec les trois autres membres du groupe et leur très futé manager, Paul McGuinness. U2 a vendu plus de 150 millions de disques. En juin, il reprendra sa tournée 360° qui promet d’être la plus lucrative de tous les temps, dépassant le précédent record des Rolling Stones. Organisation collégiale dont Bono est le porte-parole, le groupe est assis sur un tas d’or estimé à 900 millions d’euros, réparti à parts quasi égales entre les cinq « associés ». Une règle imposée par Paul McGuinness dès le départ et qui explique sans doute pourquoi le groupe ne s’est jamais séparé. Autre secret : U2 a réussi à négocier en 1984 avec Island Records (désormais intégré à Universal) la propriété de l’intégralité de ses droits d’auteur. Une exception dans cette industrie. « Nous avons toujours pensé qu’il serait honteux d’être bons en musique et nuls en business, raconte Paul McGuinness, dans sa fabuleuse propriété londonienne de Notting Hill. C’est une question de morale, de fierté et d’efficacité. »
Enfant frustré
En bon autodidacte, Bono a donc appris les affaires en marchant, au côté de Paul McGuinness. Soit. Mais il aurait pu s’arrêter là. Pourquoi ce besoin de toucher à tout ? « C’est quelqu’un d’inquiet, qui a toujours besoin de mouvement et est incroyablement curieux », avance Michka Assayas. Issu d’une famille modeste, Paul Hewson a besoin de reconnaissance. Une revanche à prendre sur la vie monotone d’un père fonctionnaire à la poste, qui l’empêchait de rêver. Ses modèles ? Martin Luther King et Nelson Mandela. « On sent en lui une colère sourde, celle de la mémoire collective des Irlandais, qui ont souffert de famine jusqu’à récemment », témoigne Bobby Shriver.
Son combat pour l’Afrique s’explique aussi par la foi. Bono est un chrétien pratiquant, limite mystique. L’homme d’une seule femme, Ali, connue à 16 ans, avec laquelle il a quatre enfants. Capable de réciter des passages entiers de la Bible. « Parfois, il donne l’impression d’être le Christ sur terre, note Thierry Klemeniuk, l’ex-patron du Man Ray, un autre intime français. Il est dans l’amour, comme habité. » Un religieux mais à l’anglo-saxonne, sans aversion pour l’argent.
Joueur d’échecs à ses heures, Bono est réputé intelligent. « J’ai été surpris par la maturité de sa réflexion sur l’aide au développement, témoigne un banquier parisien. Ce n’est pas de la bienfaisance naïve. » Il se nourrit des travaux de Paul Collier ou de Jeffrey Sachs, devenu un proche. Mais lit aussi ceux qui estiment que l’Afrique ne profite pas, voir pâtit de l’aide, comme William Easterly ou Dambisa Moyo. Extraverti, il a hérité son bagout d’un oncle VRP. « Il ne vous lâchera pas avant de vous avoir convaincu, observe Michka Assayas. Il est doté d’une froideur manipulatrice doublée d’un côté clownesque. Il calcule tout, y compris le fameux épisode du concert de charité de Live Aid, en 1985. » Bono avait alors créé l’événement en se perdant de longues minutes dans le public, lançant la légende U2.
Charmeur invétéré
Pour plaider la cause de son ONG, il fait du charme tous azimuts. Quitte à déplaire, comme quand il s’affiche avec George W. Bush. « Il étudie d’abord la psychologie de ses interlocuteurs, dit Jamie Drummond, à la tête de One. Comme Bush se définissait comme le «président MBA», il lui a vendu un business plan : « Si les Etats-Unis annulent la dette des pays pauvres de cette façon, ils vont obtenir tels résultats.»
Dans le business aussi, Bono parle à tout le monde… à tous les fabricants de smartphones, par exemple. Quitte à laisser courir les rumeurs de brouille avec Steve Jobs. U2 s’était en effet associé à Apple pour la promotion des premiers iPod. Jusqu’à ce qu’en 2007 Bono investisse via son fonds près de 500 millions de dollars pour tenter de redresser Palm avec d’anciens cadors d’Apple… et que U2 fasse sponsoriser son actuelle tournée par RIM, le fabricant de BlackBerry ! Bono n’est pas à une contradiction près. La délocalisation en 2006 à Amsterdam, pour raisons fiscales, des activités d’édition musicale de U2 en est une de taille. « Rien d’illégal, les Rolling Stones font la même chose, explique le fiscaliste britannique Richard Murphy. Mais vu son discours, ce n’est pas éthique. »
Même en Irlande, l’homme ne compte pas que des amis. « Il a un côté nouveau riche avec sa Maserati, juge l’avocat Michael Smith. Et dans l’immobilier, ses instincts ne sont pas toujours bons, il s’entoure de spéculateurs peu recommandables. » L’hôtel Clarence est un gouffre. Et la construction de la U2 Tower, censée devenir le bâtiment le plus haut du pays, est sans cesse repoussée. La crise n’a rien arrangé. Les actions de Forbes et Move sont au plus bas ; plus personne ne croit à Palm… « C’est un businessman médiocre », assure un homme d’affaires californien. Voilà peut-être pourquoi le chanteur et son entourage sont discrets – c’est un euphémisme – sur ces investissements. Alors qu’il est temps de passer à la vitesse supérieure pour Edun, toujours pas rentable, et One, Bono sait que son principal fonds de commerce reste son image de Bon Samaritain. Seul l’avenir dira si la chercheuse de Harvard a été aveuglée par l’amour ou si elle a su déceler en Bono un visionnaire.
Obstiné
1960
Naissance à Dublin.
1976
Formation de Speedback rebaptisé U2 en 1978.
1986
Volontaire dans un orphelinat en Ethiopie.
2002
Fondation de l’ONG DATA (Debt, Aids, Trade, Africa), devenue One.
2004
Cofonde le fonds Elevation Partners.
2005
Obtient, au G8, la promesse de 25 milliards de dollars pour l’aide en Afrique.
2010
Poursuit la tournée 360° de U2, prépare un 13e album et un opéra rock. Se voit traité sur le Net de pire investisseur d’Amérique.
Il aime
La Vie de Brian, des Monty Python,
La fidélité,
Sa villa d’Eze, près de Nice,
L’Afrique,
Rire,
Manger.
Il n’aime pas
Les vacances,
L’introspection,
Les flatteurs,
L’autosatisfaction,
Ce qu’ils disent de lui
Bernard Arnault, PDG de LVMH : « Bono s’investit totalement pour ses idées. Avec Ali, son épouse, ils oeuvrent de manière admirable pour la réduction de la pauvreté du continent africain. »
Paul McGuinness, manager de U2 : « Il est extrêmement optimiste et perfectionniste, sous-estimant parfois la complexité des choses. Il m’ arrive de penser qu’il court trop de lièvres à la fois. Mais il survit. »
Jamie Drummond, cofondateur de l’ONG One : « Il aborde l’humanitaire comme un businessman. Il cherche sans cesse des idées et se concentre sur les résultats. »
Michel Kazatchkine, directeur du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme : « C’est un avocat infatigable du Fonds mondial. Son engagement est viscéral, déterminé, et mêle idéalisme et pragmatisme. »
Bobby Shriver, cofondateur de One et de RED : « Il a le don d’attirer les gens à lui, de Bill Gates à Carla Bruni – ambassadrice du Fonds mondial -, en passant par moi-même. »
Michka Assayas, écrivain et ami : « Il est aussi exhibitionniste pour ce qui est des grandes idées que corseté sur sa vie privée. S’il n ‘avait pas été chanteur, il aurait été promoteur immobilier. »
Pour retrouver l’article original, rendez-vous sur challenge.fr Paul Hewson Christique.
Pour l’ensemble des détails, l’analyse « all inclusive ».
Discussions
21 commentaires ont été publiés pour cet article.
J’ai inséré ce lien car j’en partage aussi les conclusions, donc un peu la même chose et dans le même état schyzophrène que l’ami Cyril… étrangement
eh oui, je trouve que cet article fait du bien. on oublie souvent que Bono est quelqu’un qui traverse la célébrité et un succès hors du commun en restant intègre… je pense que le succès de U2 sur la durée est largement dû à cette « forme » d’intelligence de vie de Bono qui est toujours resté assez droit finalement.
D’ailleurs il le dit lui même, la seule vraie rock star du groupe c’est adam (top models, alcool & drugs…)
Pas mal ce portrait et malgré tout le mal que je peux parfois penser de l’entreprise U2, je pense que ça doit être assez juste
http://blogs.telegraph.co.uk/culture/neilmccormick/100008097/bonos-half-century/
En ce 10 mai 2010, joyeux anniversaire à Bono pour ton demi siècle !
No Album On The Horizon, mais une nouvelle annonce serait la bienvenue aujourd’hui !
C’est un coup à nous prolonger le 360° Tour sur 2011 en nous jurant que là, vraiment, le nouvel album sera sorti :-)
si il vous fallait une preuve que bono et le pire investisseur ou business du monde voici la dernière en date: il y a trois ans (je crois) bono par l’intermédiaire d’élévations partners a racheté des parts a Palm pour 460 millions d’euros, ce qui représente 30%! palm s’effondre se fait racheté par Hewlett palm et bono perd 160 millions d’euros!!
@vincent merci, pour une fois que quelque chose de vrai est écrit sur ce site
et avec ses implants et sa teinture qui vire au roux ;)
C’est sympa d’avoir changé la photo illustrant l’article : Bono singeant un vieux requin empaillé, c’est difficile de ne pas y voir une métaphore de ce qu’est devenu le groupe.
Merci Diebold. Décidément, en gardien du temple, tu es parfait !
sisi j’te jure !
sans blague ?!
Le premier nom de U2 était Feedback et pas Speedback
On peut raconter ce qu’on veut sur eux, c’est tout de même une sacrée réussite, bravo les gars !!!
http://eco.rue89.com/2010/04/12/lhomme-daffaires-bono-met-des-billes-dans-facebook-147127
@antho Oh il travaille à Nice, tu le vois pas tout les étés dans Voici quand il bosse sur la plage ou dans les boites de nuit :p
le groupe speedback… On peut dire que le journaliste a ecrit l’article en tout independance.. ;o)
Expliquez moi sinon comment on ne peut aimer les vacances et aimer avoir une villa a eze :p
En somme Bono a inventé le capitalisme caritatif, qu’il reussit mais se brule les ailes lorsqu’il s’agit de faire des investisments plus… terre a terre.. Et evidemment il souhaite veiller au grain sur ce qui lui permet de mener ca, a savoir les droits d’auteur et les tournées.
Elevation Partners c’est vraiment que bono ou U2 + McG? J’avais l’impression que ca partait en vrille du moment que c’etait l’ensemble et non plus seulement Bono qu’etait de la partie.
Bizarrement il a l’air bien plus intéressé par l’un que par l’autre et le part ne fait qu’augmenter.
De toutes façons si j’ai bonne mémoire, Bono a toujours dit que s’il n’avait pas été chanteur, il serait devenu vendeur ou commercial.
Néanmoins, et je dis ça sans juger, il fait les deux :)
u2 est une marque
Comme le dit Naomi Klein dans « No Logo », les marques ne produisent plus rien, (délocalisation), elles sont.
Donc u2 ne produit plus de musique.
CQFD
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