En 2014 tout ne s’est pas passé exactement comme prévu pour U2. Un Oscar raté pour Ordinary Love, une distribution de Songs of Innocence critiquée et un accident de vélo pour finir. Pourtant, fait inédit, U2 a réussi à occuper l’espace médiatique tout au long de l’année écoulée.

5 mètres à faire depuis la porte… Ça va aller. Petit saut vers la droite, trois pas serrés entre les dossiers, enjambage d’un reste de… non, vaut mieux pas savoir de quoi, et arrivée enfin au bureau de Sucking. Des feuilles sont éparpillées partout sur le bureau, attendant d’être rangées. Chacune concerne un fait marquant de U2 depuis l’automne 2013. Automne 2013 ? Mais Songs of Innocence n’a été annoncé qu’en septembre 2014… Autant dire qu’à défaut de parvenir à sortir un album U2 a su squatter les médias à la perfection pendant près d’une année. Une sur-occupation qui a été l’arme forte du groupe en 2014 pour son retour.

Du U2 en veux-tu en voilà !

Pour un retour retentissant en 2014, préparez le terrain dès la fin 2013. Ajoutez-y une nouvelle chanson, d’une qualité quelconque, et ne prévenez que la veille de son arrivée. De la sorte vous obtiendrez votre retour imprévu et fracassant.

La chanson de qualité quelconque c’est bien évidemment Ordinary Love. Bande originale du biopic sur Nelson Mandela Long Walk to Freedom, elle est annoncée par le site officiel de U2 en octobre 2013. La veille, une newsletter du site prévient que quelque chose va arriver mais sans autre détail histoire de faire monter la sauce. U2 entame alors la stratégie du compte-gouttes : seules quelques secondes de la chanson sont en écoute. Pour le reste il faudra attendre encore un mois. Un mois pour entendre une chanson en entière, c’est long. Mais lorsque l’on s’appelle U2, que l’on a 35 ans de carrière et que rien n’est sorti de votre tiroir depuis deux ans, on peut se permettre de serrer la bride. La base de fans est solide et les médias sont au taquet. Un mois, c’est la durée parfaite pour laisser le temps à la machine de se remettre en route et faire languir le public.

Fin novembre, Ordinary Love apparaît enfin. Malheureusement, ironie du sort, Nelson Mandela décède quelques jours plus tard. Sa disparition fait le jeu du single : les radios diffusent le titre à un rythme soutenu, du jamais vu pour U2 avec une bande originale de film. C’est ce qu’on appelle un retour gagnant. Fin 2013 le groupe irlandais est une fois de plus sur les ondes et dans les magazines.

Pas question de laisser le soufflet retomber. Contre toute attente U2 a encore une chanson inédite sous la patte et annonce mi-janvier 2014 l’arrivée de Invisible au profit de (RED). Le jour même, U2 remporte le Golden Globe de la «meilleure bande originale de film» pour Ordinary Love. L’année se joue donc bien selon l’agenda de U2 qui a cannibalisé les médias, notamment américains. Là encore, pas question de s’arrêter en si bon chemin. U2 continue sur sa lancée et participe à la première du Tonight Show de l’ère Jimmy Fallon. Première (et dernière à ce jour) interprétation live de Invisible, dont un clip, financé par Bank of America au profit de (RED) sera diffusé durant la mi-temps du Super Bowl, l’événement sportif le plus regardé par les américains. Et pour ne rien gâcher, Ordinary Love est nommé aux Oscars. Tout va bien madame la marquise !

U2 met le paquet et U2 est partout à la fois : radio, cinéma, presse magazine (Hollywood Reporter), télévision, iTunes, Oscars, le retour d’octobre 2013 n’aura été que le début d’un crescendo médiatique qui trouve son apogée en février 2014.

Stay tuned…

La suite logique aurait dû être la sortie de l’album tant attendu depuis 2009. Pourtant, à la surprise générale U2 disparaît des écrans radars, aussi rapidement qu’il était revenu. Après l’échec d’Ordinary Love aux Oscars, le groupe cesse brusquement ses annonces. La question se pose : mauvaise appréciation du public ou rétropédalage du groupe ? Difficile à dire…

Si la promotion est bien terminée, l’engouement suscité par la réapparition du groupe lui vaut de multiples sollicitations de la presse internationale. Au cours de ces interviews peu de choses filtrent à propos du prochain album : le traditionnel «il se pourrait que ce soit notre meilleur album» de Bono, accompagné du non moins traditionnel «vous allez être surpris de ce son», de certains proches. U2 continue néanmoins de s’exprimer et maintient la pression, en ne disant presque rien. De l’art de brasser du vent. Mais U2 montre qu’il est toujours là et qu’il est maître de son planning.

La pomme de la discorde

A l’été, la rumeur sert à remettre tout le monde sur les rails. Des tweets de maisons de disques de pays paumés sont supprimés, un studio niçois est bouclé pour U2, ça sent l’album, mais ce n’est pas encore l’album. Manque ce satané single ou du son venu de la maison rose de Eze sur mer. Raté, non seulement le premier morceau est bien là, mais il est accompagné de dix frangins. Et plus fort encore, le tout est gratuit ! U2, terriblement conscient de la difficulté de se faire entendre à l’heure d’Internet, noue un partenariat avec Apple pour espérer atteindre le plus de monde possible. Voilà en quelques secondes Songs of Innocence incrusté dans les bibliothèques des 500 millions d’utilisateurs d’iTunes. Le coup marketing stupéfait la planète entière.

Il finira par faire en hurler quelques uns, mais le résultat est là : cette sortie replace U2 au coeur de l’espace médiatique. Si le bad buzz n’est pas négligeable, la méthode permet également à un public curieux (et nouveau) d’écouter cet album qu’il n’aurait certainement jamais acheté. Pascal Nègre, patron d’Universal déclare récemment : «Quelque 80 millions de personnes ont écouté leur album, est-ce qu’autant l’auraient acheté ? C’est une vraie question». Et au passage, la maison de disques en profite pour écouler très largement le fond de catalogue du groupe. Preuve s’il en fallait que cette opération marketing critiquée a atteint ses deux objectifs : redonner une grande place à U2 dans la sphère médiatique et parvenir à atteindre un nouveau public de fans.

Sans la malchance d’un accident de vélo, il y a fort à parier que U2 aurait sans problème prolongé son opération commando sur les médias internationaux. Après avoir assuré la promotion en Europe, il devait s’installer aux Etats-Unis pour quelques semaines. Late show, KROQ festival, concert pour (RED) à New York, le programme était bien chargé. La grave blessure aura finalement mis un terme à douze mois d’une stratégie média presque parfaite, où U2 aura réussi à faire parler de lui dans un espace de plus en plus dominé par les pop stars de 20 ans, à moitié à poil, voire totalement. Ce n’est pas un mince exploit.

Le meilleur est à venir

Quant à 2015, elle est déjà là. Dans quatre mois, U2 sera la scène de la Rogers Arena de Vancouver pour l’ouverture du iNNOCENCE + eXPERIENCE Tour et les semaines vont vite passer. U2 ne devrait plus faire parler de lui, quant à Bono, il refusera toute sollicitation pour se concentrer sur sa rééducation. Pour Sucking en revanche, il y a du pain sur la planche. Votre site dissident adoré a dans ses cartons plusieurs petits projets pas piqués des hannetons. Un guide touristique pour enrichir votre année de tournée, une série «Collection» pour faire revivre certains titres historiques de U2, et enfin le retour tant attendu du plus grand spécialiste mondial du bootleg pour préparer vos petites oreilles avant vos prochains concerts.

Toute l’équipe de Sucking Rock’n Roll vous souhaite une formidable année 2015, qu’elle soit pleine de joie et d’hystérie collective. Avec un petit clin d’oeil tout particulier à nos amis de U2 Achtung, qui nous font toujours autant rire.