Nous y voilà, c’est le grand jour, le Big Day, le Jour J, quasiment l’heure H de l’instant T, c’est le jour du concert ! Pour un fan, un concert de U2, ça se prévoit, ça s’organise, ça se prépare dans les moindres détails, et là, je vous le dis, je suis chaud bouillant ! J’ai décidé que je serai au premier rang, en face de Bono, et que rien, je dis bien rien, ne m’empêcherait d’aller au bout de mon rêve. C’est d’ailleurs avec ce cher Jean Jacques que ma radio me réveille à 6h45 du mat’.
La nuit fut un peu agitée, y’avait des tonnes de « Unos, Dos, Trece, Catorce » qui me couraient dans la tête, mais à l’heure dite, j’ouvre grand les yeux, j’ai la forme des grands jours, je serai le numéro un. Une bonne douche, un petit déj’ aux céréales (proscrire celles facilitant le transit intestinal), j’embarque mes deux sandwiches, mon jus d’orange et évidemment mon précieux sésame. Niveau fringues, que du « street wear ». Jean, T-Shirt léger, bonnes chaussures résistant aux écrasements de pieds et un K-Way en cas de coup dur, mais normalement, pas de mauvaise surprise, le temps est radieu. Allez, go, en route pour le stade !
Bus, métro, j’ai la tête dans le guidon, je ne regarde personne, pas le temps de discuter avec une éventuelle connaissance qui ne serait source que de perturbations inutiles. Mon iPod édition U2 me coupe du monde, j’ai les tympans qui douillent mais je reste concentré. Le jour s’est à peine levé, et me voilà devant l’entrée, il n’y a que quelques fans qui ont dormi sur place, je les enjambes discrètement, je pose mon sac à dos, je pose mes fesses, je regarde ma montre… »8h06″, bon, ben plus que huit heures avant l’ouverture des portes et environs douze avant le début du concert. La journée risque d’être longue quand même…con-cen-tré !
Il est 11h, la foule commence à se densifier, les gens viennent en groupe, histoire de passer le temps, mais quoiqu’on en pense, on a beau prévoir tous les sujets de conversation possibles, au bout de quelques heures, on n’a plus rien à se dire et c’est là que les minutes commencent à défiler avec une lenteur inimaginable. Certains dorment, d’autres mangent, boivent mais pire que tout, certains, parce qu’ils sont à un concert de leurs idoles, se croient autorisés à chanter les grands tubes du groupe. On a donc le droit à une joyeuse cacophonie, parfois magnifiquement (!) accompagnée d’une guitare, qu’un petit malin a eu la riche idée d’apporter ; je vous mentirais si je vous disais que j’aime ce moment de communion entre fans, ce partage d’émotion et de plaisir simple, non, vraiment, je déteste ça. Les gens chantent mal, jouent mal, et pire que tout, il s’en fichent, donc ça hurle à tout va jusqu’au moment où le répertoire s’épuise et que seuls quelques accrocs peuvent encore réciter les paroles des chansons quasi oubliées…je ne parle pas du guitariste qui en dehors de « One », »Sunday Bloody Sunday » ou « Desire » est obligé de poser son bel instrument, quel dommage… Une fois le tour de chant terminé, il y a toujours une petite bande qui se sent obligée de compléter la chorale avec une démonstration des plus belle sonneries de portable U2, version clavecin…un vrai délice pour les oreilles, non ?
Enfin, pester contre ces gens m’a au moins permis de faire passer quelques minutes autrement qu’en pensant au temps qui ne passe pas, je vais tenter de me reposer. Le sandwich au camembert m’a un peu ballonné, j’ai besoin de repos.
Je suis soudainement réveillé par un bruit de foule, j’ouvre les yeux difficilement, j’ai la bave aux lèvres, je regarde autour de moi, ça s’agite, tout se monde se lève…Mais que se passe-t-il ? J’ai si bien dormi ? Il est déjà 16h ? Non, il est tout juste midi, mais la foule, pour une raison totalement inconnue et de toute manière stupide, a décidé de se lever pour que l’on s’agglutine les uns contre les autres. Nous allons donc attendre debout pendant 4h, avant d’être envoyés à l’intérieur, où nous serons aussi debout, forcément, c’est tellement mieux que d’être assis et de se reposer avant le concert. La bêtise d’une foule a ceci d’extraordinaire qu’elle réagit comme une meute de moutons écervelés, sans tenter de se canaliser et d’agir dans son propre intérêt, elle se laisse guider par quelques individus encore en dessous de la moyenne générale, et qui de peur d’être doublés, préfèrent se précipiter sur les barrières et fermer toutes les issues…ce qui n’empêchera pas les éternels fraudeurs de passer de toutes façons !
Plus la peine de geindre, on est debout, j’ai la tête dans le sac et du temps, beaucoup de temps devant moi pour relativiser…con-cen-tré !
Ah tiens, j’oubliais tant ce point semblait être une anecdote face à cette foule hystérique, le soleil s’est fait la malle, place maintenant à une belle bruine, bien fraîche, bien agréable. J’enfile mon K-Way et me colle encore plus aux gens près de moi, au moins, je n’aurais pas le pantalon trempé, je positive tant que je peux.
La bruine s’est arrêtée, merci à elle, et surtout merci aux prévisions météo qui nous annonçaient un superbe soleil pour aujourd’hui. Je confirme, le soleil est bien au rendez-vous, c’est en tout cas ce que me dit mon ami que j’ai au téléphone, parce que chez nous, c’est une énorme averse qui tombe, plus question de tenter de protéger son jean ou ses baskets, tout y est passé, jusqu’au caleçon, un vrai délice. Tout le monde cherche de quoi s’abriter, sac poubelle, cartons, sac à dos, histoire de préserver quelques millimètres de peau. Dans mon positivisme forcené, je constate que ce temps de chien a au moins eu le mérite de faire taire tout le monde et de calmer les malins qui tentaient de nous faire mourir étouffés les uns contre les autres. Je suis arrivé quatrième de la file et je suis fidèle au poste, on ne m’aura pas comme ça !
Il est 16h, les mecs de la sécurité s’agitent tranquillement, ils se donnent un peu d’importance en balançant le fameux «je ne peux pas vous dire à quelle heure, ça va ouvrir, on en discute actuellement», ou mieux «oui, le groupe est là, ils sont sur scène pour les balances. On les a vu, ils sont très sympas» ! Ils m’énervent ! Ces mecs ne savent évidemment rien, et au lieu de tenter de calmer les gens en les faisant s’asseoir, au lieu de rassurer la foule sur l’ordre qui doit s’installer, les gars attisent le fan déjà lobotomisé par la proximité imaginée de ses idoles. Je reste toujours béat devant tant d’incompétence et de besoin de se mettre en avant alors que le boulot est pourtant simple. Maîtriser une foule impatiente, savoir trouver quelques mots faciles à comprendre (« assis ! », « recule ! », « pousse pas ! »,…) et gérer ensuite une masse prête à tuer père et mère pour se trouver devant Bono, facile, non ? Enfin bref, tout ça pour dire, qu’ils s’activent, ce qui signifie une prochaine ouverture des portes. Ils établissent des points de passage, et nous regardent narquois (je vous l’ai dit que ça m’énervait ?). Celui qui se trouve juste en face de moi me fait un clin d’œil complice, et me montre un «cinq» avec ses doigts, ça y est, on va entrer, je vais enfin entrer dans le temple U2, et comme pour saluer cet avènement, la pluie nous offre un peu de répit.
Les barrières s’écartent – l’anecdote retiendra que le cinq minutes s’est multiplié par dix – on nous fait avancer tout doucement. Fouille du sac, fouille du corps, et comme je n’ai pas fait le choix audacieux d’apporter mon appareil photo ou autre objet susceptible de me faire patienter quelques minutes fatidiques, je peux pénétrer dans l’enceinte, et à la faveur de ces fouilles, je suis en fait le tout premier. Je décide de prendre mon temps, de marcher lentement, je regarde tout ce qui se passe autour de moi, j’admire cette scène au loin, je tente d’en détecter tous les détails, c’est drôlement impressionnant cet endroit totalement vide, je suis bien là, relax…Non mais vous rigolez ou quoi ?? Vous croyez que j’ai attendu 8h dehors pour me la jouer cool une fois entré ? Ca ne va pas la tête, non ?! Une fois la sécurité passée, j’ai franchi le mur du son, j’ai mis à terre Carl Lewis, Michael Johnson et autre Maurice Green, le nouveau recordman du 100 mètres, c’est moi ! Je ne sais même plus si j’ai couru ou si j’ai volé, toujours est-il que maintenant, je suis face à cet homme rigolard qui me colle un bracelet autour du poignet et m’invite à pénétrer dans la pré-fosse, j’y entre volontiers et me poste là où je l’avais décidé, contre la barrière, devant Bono, je l’ai dit, je l’ai fait, j’étais con-cen-tré !
La suite n’est qu’une vague répétition de ce que j’ai vécu durant les heures précédentes. Mouvement de foule, chant (le mec à la guitare simule de jouer de son instrument), ennui mortel, seule la pluie est absente, quel dommage.
La chaleur est devenue insupportable, je suis heureusement bien rivé à ma barrière, de laquelle plusieurs jolies demoiselles ont tenté de me déloger en me lançant des sourires ravageurs, des petits clins d’œil, mais je vous l’assure les filles, aujourd’hui, pas de speed-dating, donc aucune chance de me voir céder devant un joli minois. On verra à la fin du concert si les sourires sont les mêmes, mais l’habitude veut que j’en doute beaucoup, j’ai appris à n’avoir confiance en personne dans les files d’attente et pendant les concerts. Les fans ne pensent qu’à leur tronche, et ce système me convient parfaitement. La première partie est venue nous distraire – ou nous ennuyer, c’est selon – quelques minutes, puis les roadies sont arrivés, ont enlevé les matos du groupe précédent pour laisser apparaître ceux de U2. A force de suivre ce groupe, on sait qui est qui, on connaît les visages. On les regarde faire leurs trucs habituels pour préparer l’arrivée du groupe. Dallas teste les guitares de Edge, Stuart les basses d’Adam, on colle des setlists un peu partout, ça tourne comme une mécanique parfaitement huilée. Des fans rapportent que ce sont toujours les mêmes morceaux qui passent avant l’entrée du groupe sur scène, et selon eux, on arrive à la fin, et donc au début des hostilités.
Tout ce beau monde quitte la scène peu à peu, la tension monte d’un cran, c’est palpable. La foule autour de moi se resserre, les lumières fondent doucement, le son des enceintes est monté de plusieurs crans, et d’un coup, tout le monde retient son souffle, ils sont là, on les voit ou on les sent, en tout cas, on l’entend ! Je ne sais pas très bien ce que je pourrais raconter ensuite, tant ce moment est personnel et totalement déconnecté de la réalité. Les gens à qui je tente d’expliquer ce que je vis, et qui eux-mêmes ne vivent pas la sphère «fan», me prennent pour un fou, et ils n’ont pas tout à fait tort, et si je me risque à le raconter à des fans, alors nous nous perdons dans les méandres de nos propres vécus quasiment incomparables tant ils sont en nous, inexplicables. J’aime vivre ces moments là et les enfouir dans mes souvenirs. Vous me pardonnerez donc d’en rester là dans le récit de cette nuit qui fut magique, et ainsi, aussi, ne pas nuire à vos propres émotions.
Encore une chose, il y eut bien des sourires en sortant de ce concert, mais comme je l’avais prévu, ils n’étaient plus vraiment pour moi, ils étaient juste figés, marque d’un moment de folie que nous venions de vivre ensemble, et seul à la fois.
Discussions
3 commentaires ont été publiés pour cet article.
Un article extra, je ne peux pas dire mieux. Cyril m’a vraiment transmis les sensations de l’avant concert c’est à dire l’attente interminable avec ses aléas plus ou moins plaisants. Mais je reste tout de même sur ma fin car aucun mot n’a été dit sur le concert et son contenu (on peut retrouver à un autre endroit sur le site la liste des chansons du concert).
J’espère que mon appel sera entendu et que quelqu’un voudra bien nous faire partager ses émotions sur un de ces concerts pour pouvoir donner la chance à ceux qui sont comme moi passionné par le groupe U2 et qui n’ont pas eu LA CHANCE de pouvoir se procurer de billet pour assister à un de leur concert en France.
Continuez de nous faire rever encore longtemps.
Ca nous rajeunit pas… je m’y suis presque vue, le k-way en moins ! :o) aahhh que les prochains mois vont être longs….
Ah que les nuits sont agitées en ce moment…
Mais bientôt place à la réalité et non plus à la fiction, même très bien révée!
Très bel article
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